C’est en observant la prolifération de la jussie sur le plan d’eau des Forges à Vierzon que j’ai décidé de travailler sur ce problème. J’ai très vite réalisé que les plantes invasives étaient un problème pour de nombreuses communes, et qu’il était très difficile de s’en débarrasser. Entrées à la faveur des échanges internationaux et de l’attrait pour les plantes exotiques, ces espèces se développent en étouffant les écosystèmes naturels. Avec mon collègue Patrice Perrot, de la Nièvre, nous avons été sélectionnés par la Commission Développement Durable pour une mission d’information. En voici les principaux éléments dans le discours de présentation que nous avons énoncé en commission :
Mission d’information sur la prolifération des plantes invasives et les moyens pour endiguer cette situation
Communication de Mme Nadia Essayan et M. Patrice Perrot
Lundi 12 juillet 2021/ Mercredi 21 juillet 2021
Mesdames, Messieurs,
Ma commission du développement durable et de l’aménagement du territoire m’a désignée co‑rapporteure d’une mission d’information portant sur la prolifération des plantes invasives et les moyens pour endiguer cette situation.
La préoccupation première qui a motivé mon engagement dans cette mission est liée à la présence toujours plus importante de plantes invasives dans nos territoires à Vierzon mais aussi dans toutes les villes bordant le Cher comme Preuilly mais aussi dans les marais de Bourges. Je suis régulièrement sollicitée par des maires désemparés et des particuliers inquiets par la prolifération incontrôlable de plantes invasives. Il est important de souligner que les années passant, la prolifération de certaines espèces envahissantes est de plus en plus rapide et importante en termes d’espace occupé. Cela pose de plus en plus de problèmes pour la biodiversité, mais aussi en tant que cela peut nuire à la santé, à des activités économiques ou encore à l’agriculture. Les dangers que font courir les plantes invasives sont donc de plus en plus perceptibles.
La multiplication des flux commerciaux et humains favorise un important transfert volontaire ou fortuit de micro-organismes, de graines et de plantes entre les différents pays, les continents et les zones climatiques du monde. De nombreuses plantes ont ainsi pu se développer et envahir de nouveaux milieux où auparavant elles n’existaient pas.
Lorsqu’elle n’est pas maîtrisée, cette mobilité exotique peut rompre le fragile équilibre de la biodiversité locale. En effet, la rapidité de reproduction de certaines plantes introduites constitue une menace pour la survie même des plantes endémiques. Les conséquences néfastes de ce bouleversement sont d’ordre environnementales (uniformisation et appauvrissement de la végétation, extinction d’espèces, pollution, modification du paysage), économiques (coûts financiers des dégâts causés et des mesures de protection, diminution des rendements agricole) ou encore sanitaires.
La France est particulièrement touchée par ce fléau aussi bien en métropole, en raison notamment de sa situation géographique, qu’en outre-mer qui représente 80 % de la biodiversité terrestre ou sous-marine de notre pays et où est présente plus de la moitié des espèces les plus envahissantes.
Dans ce contexte préoccupant qui ne cesse malheureusement de prendre de l’ampleur, la mise en place d’une mission d’information sur les plantes invasives était particulièrement nécessaire. Il lui revient de faire un état précis de la situation au niveau national, de préconiser des mesures législatives et réglementaires pour limiter les flux des espèces exotiques envahissantes, mieux contrôler leur introduction, notamment sur les îles françaises ultramarines où le taux d’endémicité est très important, de promouvoir des plans de reconquête quand la situation les rend encore possible par des financements croisés entre les différents acteurs locaux et nationaux.
Nous, députés, nous sommes interrogés sur les mécanismes des invasions végétales et pour mieux appréhender ce phénomène complexe et pour proposer des pistes pour une lutte efficace et ambitieuse contre les plantes invasives.
Afin de répondre à cette interrogation, nous avons effectué trois déplacements dans les Landes, sur le canal de Bourgogne et à l’université de Savoie Mont-Blanc. Dix-neuf auditions et tables rondes ont été menées, nous avons entendu à la fois des professionnels de l’horticulture et du paysage, des entreprises engagées dans la lutte contre les plantes invasives et des organismes de recherche, en particulier le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER). Nous avons également auditionné l’Office français de la biodiversité (OFB), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et le Comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Côté administrations, la direction eau et biodiversité (DEB), des directions de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) et la secrétaire d’État à la biodiversité ont été entendus. Seule l’Association des maires de France (AMF) a décliné notre invitation.
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Je vais vous présenter six axes de réflexion importants qui ont nourri les recommandations.
Pour commencer, j’ai pu observer qu’il existe de nombreuses initiatives dans toute la France, et celles dont on nous a fait part ne représentent qu’une petite partie de l’ensemble, pour mieux connaitre, sensibiliser, élaborer des plans d’actions et mettre en œuvre des actions de gestion contre les plantes invasives. Le sujet est donc bien connu des collectivités publiques, des associations de protection de l’environnement et des gestionnaires d’espaces naturels.
J’ai également remarqué qu’une multitude d’acteurs locaux pouvait être impliqués dans la politique de lutte contre les espèces végétales envahissantes mais avec des configurations variables selon les territoires.
Si les DREAL, directions régionales de l’environnement de l’aménagement et du logement, qui dépendent du préfet, sont des acteurs majeurs ou pilotes dans ces politiques, elles peuvent déléguer à des associations le travail de terrain. Les régions jouent un rôle de plus en plus important également. En ce qui concerne le risque sanitaire, ce sont les autorités régionales de santé, les fameuses ARS, et les préfets de département qui ont à rôle à jouer. Ces administrations et les élus ont besoin de structures à vocation scientifique sur lesquelles s’appuyer. C’est pourquoi les conservatoires botaniques nationaux sont également des interlocuteurs incontournables.
Ce qui frappe c’est donc à la fois le nombre d’administrations et d’acteurs potentiellement impliqués et la faible lisibilité de l’organisation globale. La politique de lutte contre les espèces exotiques envahissantes et plus largement contre les plantes invasives souffre d’un manque de gouvernance au niveau national comme au niveau local.
C’est pourquoi nous avons recommandé que les actions soient davantage coordonnées au niveau régional et départemental. Nous souhaiterions que l’organisation qui existe pour la lutte contre le développement de l’ambroisie, espèce qui présente des risques sanitaires, soit étendue à toutes les plantes invasives. Ceci signifierait la généralisation de la présence de personnes référentes dans les collectivités locales et de remontée d’information vers les services déconcentrés de l’Etat dans les départements et les régions. Cette organisation a le mérite de permettre à chacun d’identifier les personnes responsables sans empêcher la coopération entre les nombreux acteurs locaux.
Une meilleure gouvernance implique également de développer la communication sur la politique menée au niveau nationale ou régionale et des actions de sensibilisation de la population. Une population plus sensible au sujet des invasions biologiques pourra aussi mieux participer à la surveillance et la détection. C’est pourquoi je suis en faveur du développement d’un site internet et d’une application mobile sur le modèle de « Signalement ambroisie » qui donnerait des informations sur les espèces invasives et permettrait d’en signaler la présence à un endroit donné.
Nos différentes recommandations pour une meilleure coordination et une meilleure gouvernance sont les suivantes :
Recommandation n° 6 : Intégrer la question des invasions biologiques à toutes les politiques publiques en désignant un référent dans toutes les collectivités.
Recommandation n° 7 : Établir un schéma clair de gouvernance national et régional afin de définir les acteurs responsables de la lutte contre les plantes invasives.
Recommandation n° 2 : Encourager la diffusion des connaissances et des expériences de gestion.
Recommandation n° 3 : Mener des actions de communication et de sensibilisation à l’échelle nationale sur les risques associés aux invasions biologiques.
Recommandation n° 4 : Promouvoir des actions sur le terrain qui permettraient à un public non professionnel d’être sensibilisé aux risques posés par les plantes invasives.
Recommandation n° 8 : Renforcer le système d’information pour la détection et la surveillance des invasions biologiques.
Recommandation n° 9 : Inciter à la participation les citoyens pour en faire des acteurs du signalement.
Notre deuxième point d’attention concerne le travail et l’emploi dans le secteur de la gestion des plantes invasives : Traiter les plantes invasives lorsque la prolifération devient problématique ou en amont de l’invasion demande un travail humain et mécanique important. Les programmes de lutte contre les plantes invasives ne peuvent donc se développe sans moyen humain. Les personnes rencontrées nous ont signalé qu’il ne fallait pas négliger cet aspect ayant elles-mêmes parfois du mal à recruter ou trouver des volontaires pour des travaux qui peuvent demander des efforts physiques importants. Nous avons constaté que certains gestionnaires et certaines collectivités faisaient appel à des travailleurs en insertion professionnelle pour gérer des chantiers de tri ou d’arrachage. La pertinence de telles démarches est évidente. Elle a plusieurs mérites dont celui de favoriser la sensibilisation à la protection de l’environnement et plus particulièrement à la lutte contre les plantes invasives et à l’intérêt public qui s’y attache. Comme l’insertion par l’activité économique en général elle favorise l’intégration sociale et l’acquisition de compétence des salariés en insertion.
Nous estimons donc qu’il faut davantage impliquer l’économie sociale et solidaire dans ce secteur porteur, mais aussi les demandeurs d’emploi éligibles à des contrats uniques d’insertion ou d’accompagnement dans l’emploi, de même qu’il serait possible de proposer davantage de mission en service civique dans ce domaine.
Recommandation n° 20 : Promouvoir les chantiers d’insertion pour la gestion des plantes invasives, en ayant recours aux entreprises de l’ESS, aux territoires « zéro chômeur », au service civique et aux personnes condamnés travaux d’intérêt général et inciter à la signature de contrats d’insertion pour les demandeurs d’emploi ou bénéficiaires du RSA dans des structures publiques ou privées qui se consacrent aux traitements des plantes invasives.
Troisièmement, ce rapport a mis en lumière un sujet à l’intérieur du sujet des plantes invasives, celui des territoires d’outre-mer. Ces territoires insulaires ou continentaux sont particulièrement vulnérables aux invasions biologiques et donc particulièrement sensibles aux dangers que font courir à la biodiversité locale les espèces exotiques envahissantes. Les dispositifs mis en place dans les collectivités d’outre-mer sont plus aboutis que ceux existants en métropole, nos deux présidents de la mission d’information ultra-marins nous ont bien aidé pour découvrir les particularités, mais il existe encore des possibilités d’améliorer la réglementation pour limiter au maximum l’introduction d’espèces végétales envahissantes.
Pour vous présenter très rapidement un des enjeux principaux pour les outre-mer : La loi a prévu un régime, inscrit à l’article L. 411- 6 du code de l’environnement, interdisant l’introduction sur le territoire national ainsi que le transit sous surveillance douanière, la détention, le transport, le colportage, l’utilisation, l’échange, la mise en vente ou l’achat de certaines espèces exotiques. Ce régime suppose que les espèces en question soient inscrites sur une liste dite de niveau 2 déterminée par le pouvoir réglementaire. À ce jour, il existe une liste pour la métropole qui compte trente-six espèces végétales réglementées. Chaque territoire d’outre-mer, en ce qui concerne les départements et régions d’outre-mer dispose de son propre arrêté qui peut comporter plus d’espèces.
Ces listes constituent l’outil privilégié de lutte contre les plantes invasives. Néanmoins, en outre-mer un système de liste dite négative paraitrait assurément plus efficace et fiable que le système actuel. Les listes négatives permettent d’indiquer les espèces autorisées d’introduction et de commercialisation, celles non indiquées étant par défaut interdites. L’établissement de listes sur le principe de « tout est interdit sauf… » est apparu à tous les acteurs auditionnés en outre-mer comme souhaitable. De telles listes permettraient de mieux contrôler les espèces introduites et de faire reposer sur les importateurs la charge de prouver le caractère inoffensif d’une espèce végétale pour la biodiversité locale. C’est pourquoi, soutenus par les présidents de la mission d’information nous avons formulé cette recommandation :
Recommandation n° 13 : Faire évoluer les listes réglementaires de niveau 2 en outre-mer sur le principe de « tout est interdit sauf ».
Un autre sujet est important : nous n’insisterons certainement jamais assez, ni dans le rapport ni à l’occasion de cette présentation sur la nécessité de renforcer tous les moyens de prévention afin d’éviter l’importation même en petite quantité d’espèces qui sont soit déjà interdites soit potentiellement envahissantes.
Nous avons donc bien entendu l’ensemble des personnes auditionnées qui préconisent de densifier les contrôles externes, c’est-à-dire à l’entrée sur le territoire français et les contrôles internes à l’intérieur du territoire. Cela pourrait passer par de la sensibilisation aux risques et à la réglementation mais aussi par des contrôles douaniers plus fréquents des bagages. Cela demande également des contrôles internes qui consistent à davantage sensibiliser les propriétaires de terrain sur le devoir et sur les outils qui existent pour signaler les espèces invasives et traiter des espaces envahis si ce n’est pas la collectivité qui s’en charge. Les personnes publiques sont particulièrement responsables par ailleurs de la qualité des espaces, des espaces aménagés comme des espaces et milieux protégés, qu’elles gèrent et sont les premières à pouvoir être attentives à la question.
Recommandation n° 11 : Introduire une obligation de surveillance des plantes invasives par le maître d’ouvrage pour tout chantier de travaux publics.
Recommandation n° 22 : Dresser un état des lieux de la gestion des plantes invasives sur les terres en jachère.
Recommandation n° 23 : Dresser un état des lieux de l’obligation d’entretien et de gestion des plantes invasives sur les cours d’eau privés.
Si la prévention ne suffit pas car de nombreuses espèces végétales exotiques désormais interdites d’introduction se trouvent déjà sur le territoire français, il est certain qu’il faut considérablement accroitre nos moyens d’agir et renforcer l’efficacité des procédures.
Le coût pour traiter des petites surfaces envahies est très élevé comme nous avons pu le constater et ce quelle que soit la méthode employée. Dans certains espaces sensibles, les moyens disponibles pour éradiquer certaines espèces invasives ne permettent pas de traiter et donc de protéger la totalité de l’espace et si à certains endroits des opérations de traitement sont réalisées, les plantes invasives peuvent être disséminées aux alentours
De plus, les financements publics ne sont pas toujours rapidement mobilisables. Face à ces constats plusieurs évolutions sont nécessaires et nous sont apparues évidentes : la création d’un fonds d’urgence pour pouvoir mener des actions ponctuelles très rapidement et l’augmentation du budget de l’État consacré à la protection de la biodiversité et particulièrement à la lutte contre les espèces exotiques envahissantes afin de renforcer la stratégie nationale, les moyens de l’Office français de la biodiversité et de la police de l’environnement, afin également de fournir plus de moyens aux administrations déconcentrées et aux opérateurs de l’État comme l’Office national des forêts, ou plus connu sous le sigle ONF.
C’est pourquoi, soutenus par la secrétaire d’État chargée de la biodiversité, Mme Bérangère Abba, je plaide devant l’urgence de la situation pour une forte augmentation des crédits attribués programme 113 de la mission Écologie du budget de l’État dès 2022, un peu technique. Nous souhaiterions plus particulièrement que soient augmentés les crédits attribués à la sous-section 5 consacrée à la connaissance et à la préservation de la biodiversité de l’action 7 dite « Gestion des milieux et biodiversité » du programme 113 « Eaux et biodiversité ».
Recommandation n° 15 : Multiplier par dix les crédits de la sous-action 5 de l’action 7 du programme 113 « Paysages, eau et biodiversité ».
Enfin, il parait important d’insister sur un sujet qui nous est apparu constituer une préoccupation majeure pour nos interlocuteurs au cours des auditions : le traitement des plantes invasives produit des déchets verts qui sont souvent encombrants et difficile à prendre en charge. Ainsi, toute politique de gestion des espèces végétales envahissantes doit prendre en compte cet aspect car il n’est pas efficace de développer des techniques d’éradication s’il n’y a pas de moyen d’éliminer ou de valoriser les déchets issus des tissus végétaux. J’appelle de mes vœux la généralisation de la valorisation des déchets verts via le compostage ou la méthanisation qui permettent de produire de l’énergie. Ces méthodes demandent beaucoup de vigilance pour certaines espèces comme la renouée du japon car les rhizomes qui permettent la repousse de la plante sont très résistants. Les filières de traitement des déchets verts doivent donc être soutenues et encouragées dans leur développement. Comme nous avons pu le constater des initiatives se développent également pour essayer de mieux comprendre les propriétés chimiques et moléculaires de certaines espèces végétales afin d’étudier les possibilités de réutiliser ces espèces pour la fabrication de certains produits. Si cela peut sembler très intéressant dans une perspective d’économie circulaire et d’utilisation de la ressource, nous alertons tous nos lecteurs et auditeurs sur les risques existants, à savoir favoriser l’émergence de filières d’exploitation de certaines espèces invasives qui généreraient des revenus. Il va s’en dire que la gestion des déchets et la valorisation ne doit pas faire oublier l’objectif premier, à savoir limiter au maximum le développement des espèces invasives.
Recommandation n° 21 : Encourager le traitement différencié des déchets issus des espèces exotiques envahissantes dans le cadre d’un programme de lutte, notamment en traitant les déchets pour en extraire de l’énergie (biomasse), en permettant le compostage, la méthanisation ou l’extraction de molécules d’intérêt issues de ces espèces.
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Face à l’augmentation des espaces envahis par les plantes invasives, les attentes toujours plus fortes sur nos territoires des collectivités, des associations, des entrepreneurs et des chercheurs nous obligent. La mobilisation pour endiguer la prolifération des plantes invasives est quotidienne. À travers nos préconisations nous souhaitons accompagner financièrement et avec des moyens humains suffisants la mobilisation de tous les acteurs dans les actions de prévention, de détection et de gestion pour freiner la perte de biodiversité et renforcer la résilience des milieux naturels.